Bestiaire de Denis Côté
Dans un documentaire "expérimental", comme le décrit lui même Denis Côté, la forme singulière et déconcertante transmet une poésie et une réflexion bien plus efficace que n'importe quelle tentative de narration. Malgré de longs plans figés d'une esthétique irréprochable et inventive les images transmettent une spontanéité formidable et nous invite à partager l'espace des bêtes, juste le temps qu'il faut pour effleurer leur condition. Dans les premières minutes, un plan sur un carré d'herbe découpé par un grillage nous piège aux côtés d'un lama dans cet espace absurde censé préserver une animalité qu'elle enferme et domestique. A travers ce lama intrigué, agité, qui épie attentivement l'activité de l'autre côté du grillage, Denis Côté nous livre, peut être à son insu, bien plus que se qui aurait pu ressembler à une simple critique envers les zoo. Ce lama est tantôt spectateur de la comédie humaine qui se déroule devant lui, tantôt indifférent. C'est une véritable dialectique sur la condition humaine et animale qui se développe non seulement à travers ce plan mais aussi à mesure que le film continue. Les plans sur la bestialité enfermée et effrayée, parfois même résignée, viennent s'opposer à l'engouement moutonnesque d'un public joyeusement cloitré derrière les grillages qui forment à présent des cages humaines. Ce contraste est transmis grâce à une mise un scène fine et lyrique. Sans céder à l'anthropomorphisme ou la pitié, ces plans serrés qui nous piègent au plus près des animaux sur un arrière plan simple, quasi graphique, sont bien plus expressifs qu'un commentaire n'aurait pu l'être. Et ce silence prégnant est particulièrement propice à une méditation poétique à la fois rompue et intensifiée par les coups violents, les pas affolés et le souffle saccadé d'un lion agacé et d'un zèbre paniqué.
Quel plaisir de ne pas se voir imposer - comme toujours - un message, une pseudo vérité ou réalité venu d'on se sait où, et quelle humilité de la part de Denis Côté qui propose et observe avec simplicité et franchise. De tout cela se dégage une expérience cinématographique novatrice, élégante et prenante.